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Actions en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence : la Commission rate l'ascenseur, mais les actions devraient prendre leur envol
Janvier 2025Imaginez…
Vous êtes un fabricant de lunettes et apprenez qu’un de vos fournisseurs de verres vient d’être condamné par l’Autorité de Concurrence. La raison ? Il a participé à une entente de prix pendant près de 6 ans. Vous repensez aux nombreuses factures émises par ce fournisseur, et vous vous dites que vous avez été sérieusement grugés.
Vous vous souvenez d’une discussion avec une amie juriste. Elle vous avait expliqué que les victimes d’infractions au droit de la concurrence pouvaient se voir indemniser. Elle avait fait référence à une affaire en cours concernant des fabricants d’ascenseurs. Ces derniers s’étaient fait condamner par la Commission européenne parce qu’ils s‘étaient réparti des appels d’offres et avaient ainsi faussé la concurrence. Après avoir imposé de lourdes amendes, la Commission avait lancé une procédure devant le juge belge pour obtenir des dommages et intérêts.
Ceci vous amène à vous demander si vous ne pourriez pas, en tant que victime, également obtenir réparation de cette entente de prix. Comment faire ? Et qu’est-il advenu de l’action à l’encontre des fabricants d’ascenseurs ?
Quelques précisions.
Le 21 février 2007, la Commission a condamné le cartel dit des "ascensoristes", qui a duré de 1996 à 2004. S’estimant par ailleurs victime de ce cartel, la Commission a lancé une procédure devant le juge belge pour obtenir réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi dans le cadre de 20 contrats d’entretien conclus avec les fabricants d’ascenseurs.
La Commission n’a pas pu s’appuyer sur la Directive européenne relative aux actions en dommages et intérêts pour infractions au droit de la concurrence. Le cartel des ascensoristes avait en effet eu lieu avant son adoption et transposition en droit national, effective en Belgique le 22 juin 2017. La directive confère aux victimes le bénéfice de plusieurs mécanismes et présomptions fort utiles :
- Une infraction au droit de la concurrence constatée dans une décision définitive d’une autorité de concurrence est réputée établie de manière irréfragable.
- Une telle infraction au droit de la concurrence est présumée (de manière réfragable) causer un préjudice.
- Les cartellistes sont en principe solidairement responsables du préjudice.
- Le juge dispose de larges pouvoirs d’ordonner la production de documents qui se trouvent en la possession d’une partie, et même de l’Autorité de Concurrence.
L’arrêt récent de la Cour d’appel de Bruxelles prouve à quel point ces mécanismes et présomptions sont précieux pour une victime qui entend se voir indemniser.
En effet, en raison de l’ancienneté des faits concernés par le cartel des ascensoristes, la Commission n’a pas pu s’en prévaloir. Elle a dû s’appuyer sur le droit commun en matière de preuve et de responsabilité civile. Dans son arrêt prononcé le 18 novembre 2024, la Cour a reconnu l’existence d’une faute dans le chef des ascensoristes. La Cour a par ailleurs estimé que la Commission restait en défaut de démontrer que le cartel avait engendré un surcoût dans le cadre des 20 contrats en cause. Les ascensoristes se sont donc vu accorder le bénéfice du doute : la Cour a rejeté la demande en raison de l’absence de démonstration du préjudice et du lien causal entre la faute et le préjudice. La Cour a par ailleurs refusé d’accorder une indemnité déterminée en équité et a rejeté la demande de la Commission de désigner un expert chargé de quantifier son préjudice.
La Cour n’a donc nullement été impressionné par l’identité de la partie demanderesse et lui a infligé une cuisante défaite. La Cour aurait peut-être statué différemment si la Commission avait pu invoquer les mécanismes et présomptions tirés de la Directive relative aux actions en dommages et intérêts pour infractions au droit de la concurrence.
Notre fabricant de lunettes devra donc d’abord soigneusement analyser la décision de l’Autorité de la Concurrence, notamment en vue de s’assurer que ses achats ont été effectués pendant la période infractionnelle. Il lui faudra ensuite constituer de manière la plus complète possible son dossier, pour documenter ses affirmations, en les étayant, le cas échéant par des études économiques qui quantifient son préjudice. Il est à espérer qu’il puisse se faciliter la charge de la preuve et la tâche du tribunal en invoquant les mécanismes et présomptions instaurés par la Directive relative aux actions en dommages et intérêts pour infractions au droit de la concurrence.
Concrètement.
- Toute partie lésée par une infraction au droit de la concurrence a droit à la réparation intégrale du préjudice.
- La Directive relative aux actions en dommages et intérêts pour infractions au droit de la concurrence, aujourd’hui transposée dans tous les États membres de l’UE, consacre des mécanismes et présomptions destinés à faciliter le droit à la réparation pour les victimes.
- En tant que victime d’une telle infraction, prenez des initiatives, plongez dans vos archives et constituez le dossier le plus complet possible.
- L’union fait la force ! Sous certaines conditions, vous pouvez exercer votre droit à réparation en tant que victime aux côtés d’autres, sous la forme d’un recours collectif.
Plus d’infos ?
- Nous avons précédemment abordé ce sujet dans le "In the Picture" d’avril 2021, « Actions en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence – protégez vos arrières ».
- La Directive relative aux actions en dommages et intérêts pour infractions au droit de la concurrence peut être consultée ici.
- La page suivante vous permet d’identifier les mesures nationales de transposition de la Directive dans tous les États membres de l’UE.
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