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The force may be with you, mais l’éviction reste interdite

Septembre 2024

Imaginez…

Vous êtes directeur commercial d'une entreprise qui a lentement mais sûrement gagné des parts de marché en mettant l’accent sur l'innovation, l'orientation client et en récompensant des clients avec des remises d’exclusivité. Depuis, vous avez largement dépassé la concurrence et vos ventes couvrent environ la moitié du marché.

Lors de l'examen du business plan pour les prochaines années, votre équipe juridique s'interroge sur votre politique commerciale. Il est possible que votre entreprise soit en position dominante et que vous ne puissiez plus attendre de vos clients qu'ils vous achètent des produits en exclusivité en échange d'un rabais. Les rabais d'exclusivité pourraient en effet constituer un abus de position dominante. En cas de plainte de vos concurrents auprès des autorités de la concurrence, vous risquez de vous voir infliger une amende très élevée.

Le fait que l’octroi de rabais soit interdit vous surprend. Vous demandez donc plus d'explications à votre équipe juridique.  

Quelques précisions.

Une entreprise est en droit d’occuper une position dominante. Dans ce cas, cependant, elle a une responsabilité particulière. Elle ne peut s’écarter de la concurrence par les mérites et entraver la concurrence effective sur le marché en utilisant des méthodes commerciales qui ont des effets d’éviction sur ses concurrents ou qui exploitent des clients.

Les traités européens ne contiennent pas de définitions toutes faites des concepts de position dominante, de responsabilité particulière, de concurrence par les mérites, d'abus, d'effets d’éviction, etc. Ces concepts ont été précisés au fil des années sur la base de la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE.

Par exemple, il est désormais généralement admis qu'une entreprise est présumée être dominante si elle détient une part de marché stable de 50% ou plus.

Les conditions d'existence d'un abus sont moins claires, bien que les infractions à l'interdiction des abus de position dominante soient lourdement sanctionnées. Une distinction générale est faite entre les abus d’éviction et les abus d'exploitation. Ces derniers ont pour effet d'imposer aux clients des conditions commerciales qui ne sont pas raisonnablement liées à la valeur économique du produit fourni. Les exemples d'abus d'exploitation sont moins fréquents et se sont surtout présentés dans le secteur pharmaceutique.

Les abus d’éviction, qui empêchent l'expansion ou l'entrée de concurrents sur le marché, sont plus courants. C'est pourquoi la Commission européenne a déjà publié en 2008 des orientations sur ses priorités pour l’application de l’interdiction des pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes.

En mars 2023, la Commission a annoncé qu'elle comptait mettre à jour ses orientations de 2008 à la lumière de plus de 30 arrêts rendus en matière d’abus d’éviction par la Cour de justice au cours des 15 dernières années. Le 1er août 2024, la Commission a publié son projet de lignes directrices sur les pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes.

Avec ce projet, la Commission entend fournir aux entreprises un cadre prévisible, cohérent et praticable pour l'évaluation des abus d’éviction. Par exemple, le projet de lignes directrices précise les éléments de preuve nécessaires pour démontrer que certains comportements peuvent avoir des effets d’éviction. Pour certains comportements, il sera nécessaire de démontrer qu'ils peuvent avoir des effets d’éviction ; d'autres comportements sont présumés produire des effets d’éviction ; enfin, il existe des "restrictions non déguisées" qui entraînent automatiquement des effets d’éviction et pour lesquelles l'entreprise dominante ne pourra démontrer que dans des circonstances exceptionnelles qu'elles ne produisent pas de tels effets.

Le projet de lignes directrices fournit également un cadre analytique pour les comportements qui peuvent ou non faire l'objet d'un test juridique spécifique dans la jurisprudence européenne. Par exemple, les accords d'exclusivité, le refus de fourniture et l'application de prix prédateurs sont des exemples de comportements soumis à un test juridique spécifique.

Pour en revenir à l'exemple des rabais d'exclusivité, ceux-ci sont présumés produire des effets d’éviction conformément à la jurisprudence européenne. Ils ont en effet généralement un effet d'éviction en ce qu’ils rendent plus difficile l'accès des concurrents aux clients de l'entreprise dominante. Si une entreprise dominante prétend que ce n'est pas le cas, elle doit prouver son affirmation. Le projet de lignes directrices définit les éléments que la Commission prendra en considération à cet effet, notamment la part de marché de l'entreprise dominante, la part de marché affectée par le comportement (plus cette part est élevée, plus le rabais d'exclusivité est susceptible d'avoir des effets d'éviction) et les conditions des rabais d'exclusivité (telles que leur durée et leur niveau).

Concrètement.

  • Une entreprise est en droit d’occuper une position dominante, mais elle a une responsabilité particulière de ne pas en abuser.
  • La jurisprudence des juridictions européennes joue un rôle important dans la définition des conditions d'existence d'une position dominante et d'un abus.
  • Il existe à la fois des abus d’éviction et des abus d'exploitation. Les premiers sont plus fréquents que les seconds. Ainsi, les rabais d'exclusivité sont présumés d'avoir des effets d’éviction.
  • La Commission européenne a publié le 1er août 2024 un projet de lignes directrices visant à fournir aux entreprises un cadre prévisible, cohérent et praticable pour l'évaluation des abus d'exclusion.
  • Jusqu'au 31 octobre 2024, toute partie ayant un intérêt peuvent faire part de leurs commentaires sur le projet de lignes directrices. La Commission a pour objectif de finaliser les lignes directrices au quatrième trimestre 2025.

Plus d’infos?

  • Les orientations de 2008 sur les priorités de la Commission en matière d'application de la législation concernant les pratiques d’évictions abusives des entreprises dominantes peuvent être consultées ici. La modification de ces orientations peut être consultée ici.
  • Le nouveau projet de lignes directrices, publié le 1er août 2024, est disponible ici.

Pour plus de détails ou toutes questions, nous vous invitons à consulter notre site web ou à contacter notre équipe :

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